La Vieille Dame

Je suis une feuille de papier.

Vous m’avez sorti de cette enveloppe avec soin,

Tel un bijou de son écrin.

C’est que je suis une vieille dame,

Fine et fragile,

Âgée de milliers d’années.

Avant, j’étais un arbre.

La terre, cette mère, me nourrissait avec amour.

Ma cime souriait au soleil,

Je dansais avec le vent,

J’étais fort,

J’étais beau,

J’étais grand.

Sous vos coups de hache,

J’ai rompu,

Coupé,

Écorcé,

Broyé,

Lessivé,

Pressé…

Devenu

Feuille de papier,

Vous me cajolez.

C’est que je suis une vieille dame.

Sur moi,

Vous posez ce que vous avez de plus précieux,

Vous, les hommes :

Les mots.

Ceux-là mêmes qui vous caractérisent,

Vous, les hommes,

Vivants parmi les vivants,

Enfants de cette terre nourricière.

Depuis des siècles,

Sur moi,

Vous les couchez par milliards,

Les mots.

Ceux-là mêmes qui actent

Vos lois,

Vos guerres,

Vos actes de paix…

Ceux-là mêmes qui annoncent

Vos naissances,

Vos décès,

Vos amours,

Vos ruptures…

Vous me traitez avec soin,

Vous, les hommes,

Car, sur moi,

La Vieille Dame,

Si fine et si fragile,

Se tient

L’humanité.

Chris Féri