Miracle des vers

21h00, cellule 102, section 213. Prison de Haren.


Je suis assis depuis un moment, une feuille blanche posée sur la table devant moi. Un stylo fait office de baguette majorette entre mes doigts, et un grand titre en lettre capitales, grasses et soulignées qui martèle mon crane sans cesse au rythme du tic-tac du réveil poussiéreux posé au coin de la même table : « CONSTRUIRE ».


Parfois, c’est le manque d’inspiration ou d’idées qui nous empêche d’écrire sur un certain sujet. Mais dans ce cas, c’est l’inverse, c’est l’abondance d’idées qui m’empêche de me décider sur une ligne ou une autre.


Le thème « Construire » est l’un de ces sujets polyvalents qui vous offre un océan de possibilités, c’est pourquoi je pense que pour comprendre la relation de ce mot avec l’être humain il faut remonter au début.


L’être humain, dès la minute (0,001) de son existence, ne fait rien d’autre que de tenter de se construire. Le spermatozoïde court comme un fou pour féconder l’ovule, puis recours à tout un univers d’alchimie miraculeuse et divine pour que la construction du fœtus se produise dans les meilleures conditions afin que ce têtard puisse se transformer en bébé. Celui-ci à son tour, dans la première seconde de vie hors de l’utérus, n’a pour seule mission, dans un acte instinctif de survie, que de repérer les seins de sa maman et de sauter s’il l’avait fait des milliers de fois auparavant pour téter ce téton plein de vie et du meilleur aliment possible pour assurer une construction saine de son corps, de son cerveau et de son système immunitaire.


Avec cet exemple, mon intention est de souligner que l’être humain est associé à la construction dès sa conception. Cette association l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle, de différentes manières, chaque fois plus complexes.


Dans l’enfance, c’est la construction du corps qui se produit naturellement. Vient ensuite la construction des liens affectifs. A l’adolescence et à la jeunesse, c’est la construction de la personnalité qui prend le dessus, ainsi que le souci de construire un avenir, et cela passe par les études, carrière académique ou formation professionnelle. Au début de la maturité, l’instinct mammifère de construire une famille, un foyer, s’impose.


Et nous continuerons à construire sans nous arrêter pour le reste de notre existence.


Malheureusement, le parcours de l’enfance à la vieillesse n’est pas toujours un chemin à travers des champs de roses. Au fur et à mesure que nous avançons d’une construction à l’autre, la destruction survient parfois aussi, soit à cause de facteurs externes indépendants de notre volonté, soit à cause d’actions personnelles résultant de nos propres erreurs. Le pire c’est que la destruction est toujours plus rapide et plus forte que la construction. Ainsi, ce qui vous a pris cinq ans à construire peut-être détruit en deux mois.


Comme je l’ai déjà mentionné dans la première ligne, j’écris ces réflexions dans une cellule de prison. Et généralement, lorsqu’une personne se trouve en prison, c’est parce qu’elle n’a pas su maintenir le bon équilibre et la balance en faveur de la construction. Beaucoup de choses se sont effondrées et elle n’a pas su corriger cette tendance négative. Les valeurs, l’éducation, la famille… tous ces facteurs font partie de piliers de la construction la plus importante de notre vie, et lorsque ces piliers s’effondrent les uns après les autres, le résultat destructeur est dévastateur.


Et c’est exactement ce qui m’est arrivé. Comme il s’agissait d’un accident d’avion, l’accumulation de diverses erreurs et pannes a anéanti tous mes mécanismes de défense. Parmi ces erreurs, j’en souligne deux qui, à mon avis, ont été décisives : ne pas demander d’aide psychologique et professionnelle quand j’en avais besoin, et la consommation de cocaïne.


Un burn-out et une dépression mal traités, plus la consommation de cocaïne, ont fait exploser les fondations de tout ce que j’avais construit pendant vingt ans, tant sur le plan familial que financier.


Mais alors que je me noyais dans la boue, assimilant ma nouvelle réalité dans une cellule de prison,
mon fidèle oiseau phénix m’est réapparu, comme il a toujours fait tout au long de ma vie à chaque fois qu’il ne restait de moi que des cendres. Mon beau oiseau arrive, et me protège sous ses ailes, me ramenant à mon instinct primaire et reptilien de survie et de mutation. Je ne suis pas un grand fan de tatouages, mais depuis des années, tout mon avant-bras gauche est occupé par un tatouage de mon inséparable phénix.


Une fois en prison, et après les premières semaines d’adaptation, j’ai commencé à profiter du facteur le plus précieux que nous ayons en prison : le temps. Je me suis inscrit à toutes les activités culturelles et créatives possibles. Parmi eux je souligne l’atelier radio, théâtre, informatique, guitare et l’atelier pédagogique personnalisé. De cette façon, j’ai commencé à me reconstruire à nouveau, à nourrir d’abord mon âme mourante.


La plus grande expression de cela a eu lieu lorsque j’ai découvert la poésie. Ecrire en vers a été pour moi une véritable découverte.


Grace à la poésie, j’ai transformé mes malheurs en opportunité, et le désespoir en espoir. Les vers me permettent de m’évader et de me réfugier dans ma bulle, de dessiner le passé, le présent et le futur avec les couleurs que je veux, et de cette façon, la poésie me sert aussi d’autothérapie par l’écriture.


Je peux vous assurer que depuis que j’ai découvert la beauté de la poésie, ma vision de la vie a changé, mon quotidien en prison et dans ma cellule a changé. Je peux voler, je peux rêver et je peux construire.


Avant de partager avec vous ma dernière création, j’aimerais partager d’abord l’une des plus belles définitions de la poésie que j’ai jamais lu : « le terme ‘poésie’ et ses dérivés ‘poète’, ‘poème’ viennent du grec ancien (poiesis), le verbe (poiein) signifie « faire, créer, construire ». Le poète est donc un créateur, un constructeur de formes expressives ».


Avec cette anecdote, j’ai le plaisir de partager avec vous ma dernière « construction » : le miracle des vers. J’espère qu’elle vous plaise.

Le miracle des vers


J’ai appris à écrire des vers
avec des messages à l’envers
j’ai réussi à effacer des mots
de ma mémoire, de mon dictionnaire
Je suis même arrivé à transformer
mes blessures éternelles,
en un mal temporel, éphémère
Je peux enfin me reposer
et me moquer de tous mes enfers
Le miracle des vers
qui avant m’étouffaient et entouraient mon cou
comme un démon biblique, monstrueux et tentaculaire
Grâce à la poésie, j’ai trouvé la manière
De me sentir à l’abri, rassuré, et bien couvert.


Dès que j’ai appris à jongler avec les mots
je me suis enfin trouvé face à moi-même,
j’ai trouvé la potion magique, qui me libère
Même quand je me sens dépassé,
victime de l’injustice des humains
et de leurs misères,
je suis capable de sourire,
et même lâcher des éclats de rire.
Je me déconnecte de toutes les pensées négatives,
quand je décris en vers,
une majestueuse falaise spectaculaire,
qui surveille la dernière frontière, de la terre.
J’oublie tous les malheurs et les trahisons
en décrivant un couple d’amoureux,
penché à un romantique belvédère,
Les doigts des mains entrelacés
et le regard perdu, sur la mer.
Je défie tous les orages,
et je me fiche de toutes les tempêtes du désert
quand je raconte en vers
L’histoire de ce papa
qui dansait avec des lampadaires
en rentrant du travail, un soir, en plein hiver.
Comme un fou, il sautait, chantait,
Le parapluie grand-ouvert
des larmes de joie dans les yeux,
signe qu’il est content,
mais surtout, trop fier.
C’est le 31 décembre,
il a touché son salaire
et sur le chemin du retour,
il a pu enfin acheter la nouvelle Barbie
dont rêve son petit bout de ciel
sa petite de six ans, Marie-Claire


Voici le miracle de la poésie,
Voici la pierre angulaire,
qui te transporte vers d’autres réalités,
vers d’autres univers
vrais ou faux, réels ou imaginaires,
et même dans une cellule de prison,
Là où ton monde se réduit à une table,
Une chaise, deux étagères,
Rien ne t’empêche de rêver,
De te considérer comme un dieu de l’Antiquité :
Apollon, Hélios ou Jupiter
de te mettre dans la peau d’un templier légendaire,
ou t-de devenir d’Artagnan, en pleine aventure,
avec ses mousquetaires.


Mais aussi, à travers les vers,
tu peux atterrir les pieds sur terre,
retirer les étiquettes qu’on t’a collées,
mettre des couleurs dans ta obscure réalité,
et trouver la lumière.


Laisse parler ton cœur, sois sincère
oublie toi de comment eux, ils te considèrent,
Retrouve-toi sœur, Retrouve-toi frère.
Découvre la magie des mots,
bienvenue, au miracle, des vers.