Les étiquettes : biographie de Monsieur B.

biographie de Mr B. racontée par Mr B. et écrite par Mr V

Préface

Comment se détacher de l’image que nous renvoyons aux autres ?

Certains de nos actes nous définissent aux yeux des autres, mais cette image est parfois ternie par des choix qui, si l’on pouvait retourner en arrière, nous n’aurions sans doute pas fait. Je suis en face de Monsieur B. qui voudrait que l’on raconte son histoire pour que d’autres ne fassent pas les mêmes erreurs que lui. Mais pour ma part, ça va au-delà du message de prévention.

Je voudrais que par le récit de son histoire, on dépasse les préjugés dont il est la cible et qu’il reprenne confiance en lui afin qu’il puisse se reconstruire.

Au fur et à mesure de nos échanges, il m’est apparu profondément sensible et curieux de mieux se connaître lui-même.

Alors que certains me disaient de me méfier de lui car il était « fiché S » et condamné pour terrorisme, j’essayais de faire la part des choses afin de comprendre les mécanismes et les engrenages dans lesquels il s’était trouvé et qui l’avaient amené en prison.

Nous avions tous les deux suivi un cours de français dans lequel nous avions abordé le sujet de philosophie suivant : « suis-je toujours le même ? » et parmi les conclusions, il y en a une qui avait recueilli l’unanimité parmi les participants du cours ; personne ne voulait que les autres nous définissent uniquement sur nos actes passés. Alors comment tirer profit de nos échecs passés ?

Pour Monsieur B. ce sera en essayant d’éviter que d’autres que lui reproduisent le même schéma et en essayant de comprendre comment lui-même s’est-il retrouvé enfermé dans un engrenage infernal.

Monsieur V.

Chapitre I : la solitude

Les étiquettes… nous en portons tous malgré nous et celles que je porte collées à mon front, je m’en passerai bien. Elles me mettent dans des catégories dans lesquelles je ne pensais pas tomber un jour. Moi qui plus jeune rêvais d’une « vie normale ». J’ai la sensation que l’image que je renvoie aux autres ne reflète pas ma véritable personnalité. Mais il m’apparait évident que cette image que les gens qui ne me connaissent pas personnellement se font de moi, je la dois à certains de mes choix et de toute évidence, certains d’entre eux étaient très mauvais. Avec le recul, je m’en rends compte. En fait, je cherchais quelle était ma place dans la société, j’étais perdu, à la recherche de mon identité. Je me sentais seul dans cette quête, je me sentais seul et abandonné. Je me sentais différent des autres et je voyais bien que les autres me traitaient différemment et c’est durant mon enfance, que l’on a découvert mon handicap…

Suite à la découverte de mon handicap, un de mes professeurs d’école a suggéré à mes parents de me mettre dans une école spécialisée pour sourds et malentendants. Ce handicap, je le vivais très mal. Les enfants du quartier se moquaient de moi, si bien que je n’osais plus mettre le nez dehors. Je sortais de chez moi uniquement pour aller à l’école.

A partir de ce moment-là, j’ai commencé à me renfermer de plus en plus sur moi-même. Je me sentais rejeté, jugé.

Cette situation de handicap me traumatisait à un point tel qu’un jour, suite à un accident lors d’une fête d’anniversaire, j’ai fait une crise d’angoisse. Cette crise d’angoisse m’a terriblement bouleversée, car les personnes présentes à cette fête m’avaient accusé d’avoir gâché la fête.

Cet incident m’a encore plus isolé du reste du monde. Ce sentiment de solitude s’est encore amplifié à la séparation de mes parents et j’avais la sensation que cet engrenage infernal ne s’arrêterait jamais et ce sentiment a atteint son paroxysme fin 2012, au décès de mon père, je perdais mes derniers repères de stabilité. Ma famille n’était plus soudée. J’ai perdu à ce moment-là toute confiance en moi. Je parvenais tout de même à terminer ma scolarité et à obtenir un C.E.S.S en travaux de bureau, mais cependant je n’arrivais pas à trouver ma place. Tout ce que j’arrivais à voir en me regardant dans la glace, c’est une personne faible et fragile, qui manquait totalement de confiance en lui et qui souffrait de troubles de la communication.

Tout doucement, je commençais à construire un mur entre moi et le reste du monde. Je n’arrivais pas àtrouver de travail, je n’avais plus de relations sociales, alors, j’ai été chercher du réconfort à la mosquée.

Chapitre II : lavage de cerveau

La pratique de ma religion donnait un sens à ma vie, mais malgré cela, je n’arrivais toujours pas à trouver ma place. Le manque de confiance en moi et la solitude me mettaient dans une situation propice aux mauvais choix. Je cherchais une route à suivre, mais laquelle devrais-je prendre ? Si la religion était mon pilier, je cherchais des guides pour m’aider à trouver la manière de la pratiquer.

Un jour, en sortant de la mosquée, j’ai fait la rencontre de Monsieur M.P. Nous nous sommes très vite liés d’amitié. Nous parlions énormément de religion et comme je ne connaissais pas suffisamment la pratique de l’Islam, je me fiais à ce qu’il m’en disait, et très vite, il a réussi à me convaincre que tous les imams des mosquées étaient corrompus, car ils travaillaient tous pour l’état et que par conséquent, je n’avais pas le droit de prier avec eux. C’est à partir de ce moment -là que j’ai arrêté de fréquenter la mosquée. Je trouvais en Monsieur M.P. un genre de directeur de conscience. Il me parlait de l’Islam et ses bienfaits. Il me citait des phrases qu’il disait venir du Coran et m’en donnait son interprétation.

Je le trouvais charismatique et convaincant. Il insistait sur le devoir des musulmans de combattre les « méchants » en fait il disait mécréants, mais aujourd’hui je trouve ce mot choquant, mais à l’époque, monsieur M.P m’avait convaincu. C’est de cette manière que le sujet de la Syrie est arrivé. Il me disait que c’était un pays en guerre, dans lequel des Musulmans étaient tués. Tout ce que je savais de cette guerre, c’est ce que Monsieur M.P m’en disait et ce qu’il m’en disait était clair : il y avait de pauvres musulmans en souffrance qui vivaient une injustice et les méchants. Les nuances géopolitiques de cette guerre m’échappaient complètement et je dois avouer ne pas savoir comment les analyser pour les comprendre. Je n’y voyais que l’injustice. J’en étais convaincu et Monsieur M.P me répétait sans cesse qu’il était de mon devoir d’aller aider mes frères musulmans. Mais au-delà de ce combat pour délivrer la Syrie, il me vendait un rêve séduisant, une vie « normale ». Il me promettait qu’une fois là- bas, j’aurais une femme, une maison et qu’il fallait que je m’installe là-bas pour respecter ma religion et que c’était de cette manière que j’allais gagner ma place au paradis. Je croyais vraiment à ses paroles. J’étais naïf et prêt à suivre celui quim’aiderait à sortir de ma solitude et mes souffrances. Pour moi, la vérité à ce moment- là c’était celle que Monsieur M.P me disait. J’étais persuadé que si je suivais ses conseils, j’irais au paradis et que j’étais dans le camp des « justes », que nous partirions ensemble pour aider les musulmans de Syrie à retrouver leur liberté. Mais aussi que je m’installerai là-bas, que je me marierai et vivrai ma foi jusqu’à ce que j’aille au paradis. Mais je ne suis jamais parti en Syrie avec Monsieur M.P car un jour, il a tout simplement disparu. Ilme laissait sans nouvelle, sans guide. A nouveau, je me sentais abandonné.

Chapitre III : illusions virtuelles

Après le départ de Monsieur M.P, je me sentais à nouveau gagné par la solitude, mais je me raccrochai à la seule chose qui avait encore du sens pour moi : la « foi ». Je pensais toujours que mon devoir était d’aller en Syrie comme me l’avait suggéré Monsieur M.P. Il faut dire que ce qu’il m’en avait montré m’avait horrifié. Il avait soigneusement pris le temps de me montrer uniquement la partie du conflit dans laquelle des musulmans souffraient. Il m’avait montré des vidéos dans lesquelles des gens étaient tués. J’étais persuadé qu’il n’y avait que deux camps, celui des « gentils » et celui des « méchants ». Moi, j’étais sûr d’être dans le bon camp. Mais sans l’aide de Monsieur M.P, je ne savais pas comment me rendre en Syrie pour faire mon devoir. Alors, j’ai commencé à chercher sur internet des personnes avec qui je pourrais parler et qui auraient peut-être le même projet que moi.

C’est de cette manière que j’ai commencé à discuter avec plusieurs groupes sur les réseaux sociaux. En parlant sur les groupes, j’avais la sensation d’être, de ne plus être seul et d’avoir à nouveau des amis, comme l’avait été Monsieur M.P.

C’est sur internet que j’ai fait la connaissance de Monsieur A.B.L. C’était sur un groupe de discussions sur le mariage que j’ai rencontré Monsieur A.B.L, car je voulais fonder une famille et être quelqu’un de « normal ». J’ai commencé à dialoguer avec Monsieur A.B.L, de manière régulière. Il me disait qu’il pourrait m’aider à m’installer en Syrie et qu’une fois là-bas je pourrais me marier, avoir une maison ainsi qu’une femme. J’avais l’impression d’avoir à nouveau quelqu’un qui me comprenait et pouvait me guider. Avec lui, j’ai commencé à fréquenter d’autres groupes de discussions. Certains de ces groupes de discussions avaient pour sujet la Syrie et justement, Monsieur A.B.L et moi, nous voulions y aller.

C’est en cherchant un passeur sur les groupes de discussions, que l’on a fait la connaissance de Madame F., qui nous disait pouvoir nous aider à nous rendre en Syrie. Elle nous a organisé à Monsieur A.B.L et moi-même un rendez-vous avec un passeur, à Paris. Pour moi, c’était comme un jeu, je n’avais absolument pas conscience des enjeux et de la gravité de ce que l’on entreprenait Monsieur A.B.L et moi. Alors nous avons fait le voyage jusqu’à Paris. Mais nous n’y avons jamais rencontré le passeur. Par la suite, j’ai découvert que Madame F. qui nous avait fait organiser ce rendez-vous, était en vérité un homme que je nommerai Monsieur S.L.M et qui était le chef d’un groupe qui avait été arrêté par la police car ils étaient impliqués dans la planification d’attentats.

Après mon voyage à Paris, je suis retourné sur des groupes de discussions sur internet. Sur l’un de ces groupes, j’y ai fait la connaissance de Monsieur A.N.R, il partageait les mêmes idées que moi et comme avec Monsieur M.P et Monsieur A.B.L, nous parlions de religion, de la Syrie, etc.

Je me suis lié d’amitié avec lui et un lien de confiance s’est tissé entre nous. Un jour, il m’a demandé si on pouvait utiliser ma maison pour y organiser un mariage d’amis à lui.

Je me suis donc attelé à l’organisation de ce mariage et je l’avais programmé de manière à ce que ma famille soit présente et partage ce moment tous ensemble. Mais si le mariage s’est déroulé, le lendemain fut catastrophique. C’est le lendemain du mariage que ma vie a basculé.

Chapitre IV : rattrapé par la justice

Après la cérémonie du mariage, nous sommes allés manger au restaurant. Ensuite, par politesse, j’ai proposé aux invités de dormir chez moi car certains étaient venus de France jusqu’en Belgique pour le mariage. Ma chambre étant occupée, j’ai dormi dans le salon. Le lendemain matin, je fus réveillé par un grand bruit. Quand j’ai vu des personnes cagoulées pénétrer chez moi, j’ai cru qu’il s’agissait de cambrioleurs, alors j’ai riposté car il était hors de question que je me laisse faire, mais ensuite, j’ai compris que les hommes cagoulés étaient de la police, j’ai donc obéis à leurs injonctions. Par la suite, j’ai été auditionné de nombreuses fois par la police et par le juge. J’avais le sentiment que les épreuves que j’étais en train de subir étaient injustes.

J’étais paniqué, stressé et en colère et je niais tous les faits qui m’étaient reprochés. Pour moi, à ce moment-là, le fait que la justice m’empêche de réaliser mon rêve me rendait triste et en colère. Je pensais que les policiers et les juges n’aimaient pas ma religion et que c’était pour ça qu’ils voulaient m’empêcher de partir en Syrie. Quand le juge m’a dit que si je continuais de nier les faits qui m’étaient reprochés, il me condamnerait à une peine de 15 ans de prison. Alors j’ai craqué et j’ai fini par leur avouer la vérité… oui, j’essayais de partir en Syrie et que pour y arrive, je m’étais associé à des groupes radicaux et des extrémistes religieux, parce que je pensais que c’était ce que me dictait la loi islamique. J’étais sûr d’être dans mon bon droit, que ce que je croyais était la vérité. Je pensais être un bon musulman, et « eux » me qualifiaient de terroriste. Après avoir reconnu les faits au juge, les policiers m’ont ramené à la prison de Leuze.

Chapitre V : remise en question

Les premières semaines en prison étaient les plus difficiles. C’était la première fois que je rentrais en détention. Au début de mon incarcération, j’étais isolé des autres détenus car ma cellule se trouvait dans la partie de la prison « haute sécurité », réservée aux gens dangereux et les terroristes.

J’ai mis du temps à dépasser ma colère et à me remettre en question ; cela s’est fait tout doucement. D’abord, grâce aux entrevues avec l’imam qui venait me voir en prison et qui m’expliquait que les gens que j’avais rencontrés et qui prônaient un islam radical, manipulaient les écrits coraniques et les sortaient de leur contexte pour les interpréter de manière à ce qu’ils aillent dans leurs sens. En réalité, aucune de leurs idées extrémistes ne se trouvaient dans le Coran. Alors, petit à petit, mon point de vue commençait à changer. C’est aussi grâce aux entretiens avec le service psycho-social de la prison que mon point de vue évoluait. Ils m’ont aidé à comprendre de quelle manière j’en étais arrivé là et de quelle façon mon handicap et mon retard ont entretenu mon sentiment de solitude et m’ont replié sur moi-même et ont favorisé la malléabilité de mon esprit qui s’est laissé embrigader naïvement dans des projets macabres. Alors, j’ai commencé doucement à m’ouvrir sur le monde qui m’entourait et je me suis inscrit à différents cours, ateliers et formations. Chacun de ces cours, ateliers et formations m’apprenaient quelque chose et me faisaient évoluer et m’aidaient à reconstruire.

Le cours intitulé « image de soi » par exemple, m’a aidé à comprendre qui j’étais au fond de moi ainsi que l’image que je pouvais renvoyer aux autres… Ou encore, les cours de « gestion du stress » qui m’ont aidéà me canaliser. Il y a également le « cercle de conscience » dans lequel on apprend à se connaître via les autres, pour changer son comportement… A tous ces cours, j’y ai appris à me dépasser, moi qui avais énormément de mal à m’exprimer, je commence à le faire de mieux en mieux et cela m’a aidé à évoluer et à ne plus me sentir exclu dans un groupe. J’ai également suivi des cours de français et de mathématiques, afin d’approfondir mes connaissances. La direction de la prison en voyant les progrès que j’avais opérés, m’a sorti du quartier haute sécurité, pour me mettre dans une section ouverte, avec les autres détenus.

Il m’a fallu un certain temps d’adaptation. J’avais peur que certains détenus me jugent et me rejettent. Et si c’est ce que certains ont fait, j’ai malgré tout, mis en œuvre ce qu’il fallait pour dépasser mes craintes et j’ai continué à travailler sur moi-même, à suivre les cours, les ateliers et les formations qui m’aidaient à m’épanouir. Si bien qu’à force de persévérance, j’ai trouvé le courage d’aller vers les autres détenus. Ils ont appris à me connaître et à m’apprécier. J’ai même réussi à obtenir un travail au sein de la prison. J’essayais de mettre toutes les chances de mon côté pour faire évoluer ma situation. Les membres du service psycho-social de la prison qui s’occupaient de mon dossier ont remarqué les changements qui s’étaient opérés en moi. Avec eux, je travaillais sur ma future réinsertion, car je veux pouvoir me projeter dans l’avenir…

Il faut maintenant que j’organise « l’après », quand j’aurais fini d’exécuter ma peine de détention. Il est évident que je ne peux plus me permettre de refaire les mêmes erreurs que dans le passé.

Je souhaite toujours avoir une vie normale, mais mon point de vue sur le monde, et il faudra que j’arrive à changer le point de vue que le monde a sur moi.

Je continuerai le travail commencé sur moi-même, pour dépasser mes peurs et mes angoisses. Je voudrais pouvoir rendre fière ma famille que j’ai déçue par mes mauvais et mon ancienne appartenance aux idéologies extrêmes.

Je ne veux plus que la société ait peur de moi. Je ferai ce qui est nécessaire pour que la société et les gens que j’ai choqués et blessés comprennent que je fournirai tous les efforts nécessaires pour qu’ils aient envie de m’accorder leur pardon.

Je sais déjà quel travail je voudrais faire. Quand je sortirai de prison, je ferai une formation en boulangerie. Je trouve qu’il y a quelque chose de noble à fabriquer du pain, car le pain peut se partager, et je trouve que c’est un beau symbole.

Je pense qu’il est là mon futur après la prison, dans le partage.

Histoire racontée par Monsieur B et écrite par Monsieur V.