J’ai parfois envie de me trouver au préau, et de gueuler de toute mes forces « Regardez-moi les gars, vous me connaissez, et je suis gay ! »
Le milieu carcéral est un monde à part, il est observateur, jugeur, culpabilisateur et souvent destructeur.
A tous ceux qui pensent que la prison éduque, corrige, responsabilise, ils ont tort.
Mon passage en milieu carcéral est un choc, car je suis entré dans une société plus homophobe encore que celle de l’extérieur. Si on est à 30% homophobe dans la vie, on le devient à 100% en détention ! Même si les administrations pénitentiaires le réfutent. De même qu’un autre détenu, j’ai été forcé de fumer des joints alors que je suis non-fumeur durant mon passage à la prison d’Ittre, j’y ai été abusé dans les douches, et soumis à ne rien dire au risque de… Cet établissement est de moyenne importance en Belgique et compte environ 500 détenus.
Dans de telles conditions tu t’écrases et tu attends que tes « abuseurs » aient fini leur affaire pour te traiter de salope, de pute, de pervers ou autres injures. Inutile d’en parler autour de soi, ça craint encore plus de balancer. Il faut dire que les douches communautaires ne sont pas surveillées, on y est enfermé à clef durant au moins 20 minutes, bien sûr seul et sans matons aux alentours.
Aujourd’hui, je suis dans ma 19è année de prison, les codétenus sont informés par les agents du fait que tu es gay. Oubliez le secret professionnel, cela n’existe pas vraiment, voire pas du tout. C’est ainsi !
J’ai appris à encaisser les premières années, à me taire et à subir. On m’obligeait à cantiner les capotes pour les remettre à d’autres détenus. J’en avais parlé à une matonne, sa réponse fut cinglante : « Vous devez assumer ce que vous êtes ». C’est incessant les remarques, les insultes que l’on reçoit ; « Fou le camp sale pd », ou « Baisse les yeux tapette »… Ce ne sont pas les homos qui vous enculent, mais bien les hétéros. La prison nourrit la frustration sexuelle. La prison c’est le racket en permanence. On ne s’y fait pas racketter pour de la drogue, mais pour son cul ou pour faire une « gâterie ». Combien de fois j’ai été trompé, abusé naïvement en donnant confiance à un détenu qui m’avait l’air correct. Car il n’y a pas que le sexe, nous sommes nombreux les homos à ne pas avoir de visite. Alors on cherche l’affection, la tendresse et parfois le cul dans l’espoir de trouver quelqu’un qui va oser franchir ce pas ; de côtoyer un homo ! La discrétion est de mise, il n’est pas rare de recevoir des baffes, de se faire insulter devant les autres détenus par celui qui justement se réconforte avec toi dans les douches, pour te jeter ensuite…
Pas de visites, une réalité. A mon avis c’est pareil pour beaucoup de gays en prison. Qui dans son entourage va recevoir de la visite lorsqu’on sait que tu es gay ; la famille, les amis, son compagnon, qui ?
Dans mon cas, personne. Et je suis certain que c’est aussi le cas de pas mal de gays en prison. Les proches ont trop peur des regards, des insultes déjà dans la salle d’attente ou lorsqu’ils passent les différents contrôles de sécurité surveillés par les agents pénitentiaires.
Tout le monde ici sait, enfin 80% des détenus savent que je suis gay. Je travaille 5 jours par semaine. J’ai déjà entendu quelqu’un me dire : « Tu devrais te faire soigner de ta maladie, des électrochocs, te faire castrer ». C’est intolérable d’entendre cela, et j’ai envie de hurler, de me révolter, mais tu dois te taire. La diversité de races, de cultures, de religions, font aussi que des détenus ayant d’autres origines te rejettent. Pour eux tu es de la merde !
Il y a beaucoup d’amalgame dans le monde carcéral. Trop souvent être pédé = être pédophile. C’est principalement à cause des rumeurs que les gays craignent leur détention. Tout est analysé, ainsi j’ai eu à me justifier parce que je cantine des préservatifs. La prévention aux IST, au VIH reste taboue. En général au bureau médical, il y a toujours des préservatifs à dispo, mais lorsque tu te sers, on te demande : « Pourquoi en avez-vous besoin, vous n’avez pas de visites dans l’intimité (VHS = visite hors surveillance) » ?
C’est connu, un grand nombre d’hétéros ont des rapports sexuels entre eux car le besoin naturel est là. Privé de leur compagne ou femme, de l’être aimé, dans ces 9 m² c’est très difficile la promiscuité de vivre 24h/24 des mois durant accompagné par la même personne qui par la force des choses se lave nu au lavabo, pisse debout et/ou défèque en face de toi au wc. C’est aussi ça la vie à deux.
La masturbation est fréquente, j’en sais quelque chose d’avoir été des années préposé à l’entretien des douches communautaires. Je peux affirmer que des litres de sperme passent dans les cabines qui ne sont pas closes les unes par rapport aux autres. Tu y trouves l’hétéro exhib qui se douche à poil ou le pudique qui se lave en gardant son boxer à la taille. Cela a été fréquent pour moi qu’un gars me fasse signe pour le sucer et puis te jette.
Ici, tu choisis les anxiolytiques, les neuroleptiques qu’on te propose ; et tu dormiras jusqu’à devenir une épave, un zombie maqué au Seroquel, Valium, Alprazolam et autres… Ou alors tu pratiques la masturbation pour trouver le sommeil ensuite. La masturbation est rassurante quelque part car elle permet de confirmer ta virilité, et aussi de réduire le mal- être lié au stress, à l’anxiété. Si la pratique est courante et connue elle n’est pas tolérée par l’autorité. J’ai été déplacé trois mois en isolement car on trouvait que j’étais trop « intime » avec l’un ou l’autre détenu.
Il est aussi éprouvant d’entendre certains intervenants sociaux et psychologues te dire que tu es pervers de pratiquer la masturbation, la fellation. Peut-être que ces propos sont liés au fait que les intervenants sociaux sont à 99% des femmes. On te le dit, on te le reproche, on te culpabilise tout en sachant que tu es un être humain qui a des besoins biologiques.
Entre hétéros, même si c’est interdit, les clés usb circulent beaucoup avec des films de cul. Hélas, pour les autres, tu ne trouves pas de films gays sur clés usb. C’est ça aussi qui montre qu’on est exclu.
J’ai découvert l’amour gay sur le tard, mon compagnon, plus jeune, a été détenu ; je l’ai rencontré en détention. Cet aspect pose question pour les intervenants sociaux. Parfois, je me demande si je vis au 21è siècle. Le Président Macron et sa femme ont aussi quelques années d’écart.
Dans les différents établissements pénitentiaires où je suis passé, c’est rare de rencontrer un détenu gay qui le dit et qui s’identifie en ce sens. Jamais je n’ai constaté qu’on place les détenus homosexuels dans des sections fermées. Ils sont mélangés avec tout le monde.
Parfois certaines mesures sont prises, au cas par cas, en cas de conflits, de trouble de l’ordre et suite à un rapport disciplinaire accompagné d’une sanction. Il est pas simple de vivre en détention avec un partenaire dont on peut tomber amoureux. De l’avoir vécu, je le déconseille car cela vous sera reproché toute votre détention. Et lorsque cela se sait, le partenaire est transféré dans une autre prison ; cela a été mon cas aussi. Si je peux donner un avis, soyez le plus discret possible, ne commettez pas l’erreur de faire votre « Coming Out » en prison. Car cela ne va rien résoudre durant votre parcours carcéral, au contraire toutes les mesures seront prises pour vous séparer de votre compagnon. Et alors, il ne vous restera que le courrier pour garder le contact. Mais cela ne dure pas… Même si le Coming-Out est une étape importante dans la vie d’un homme ou d’une femme il y a souvent plus à perdre qu’à y gagner, surtout en milieu carcéral.
Je sais que cela ne plaît pas à tout le monde, de savoir qu’il y a sur une section un détenu avec une orientation sexuelle différente. Et parfois la maladresse d’agents fait que même si on reste discret tout se sait très vite. Je me rappelle de mon agression il y a quelques années, la date importe peu ; ce sont plus les circonstances qui troublent.
Un jour, alors que j’étais en train de rédiger du courrier, un gars que je ne connais pas est rentré dans ma chambre sans un bruit. Je ne l’ai pas vu, il était dans mon dos, il me fit une clé de bras autour du cou ce qui coupa net l’arrivée d’air dans mes poumons. Il murmurait : « Crève pédé, crève. Tu vas me donner ta chaîne Hi-Fi et me faire une cantine de 50 euros »! J’ai bien entendu refusé, et il me serrait le cou de plus en plus. J’ai bien eu du mal à me défaire de sa prise si bien que je me suis laissé glisser sur le sol en bas de ma chaise ; cela me délivra de l’étranglement. Sur le sol il se mit à me donner des coups de poing dans le visage, et des coups de pied sur le thorax. Je suffoquais, ma vue se troublait. Impossible pour moi de réagir. Restant inerte, le détenu agenouillé sur moi se leva et parti en emportant quelques affaires personnelles.
Quelques minutes après son départ, j’ai pu prévenir un surveillant qui m’emmena immédiatement chez le médecin qui établit un constat de coups. J’avais une plaie à la joue, à l’arcade sourcilière, et deux côtes cassées. L’établissement déposa plainte et j’ai été auditionné par la police. Par la suite, ce détenu est venu s’excuser, exprimer ses regrets. Que son geste était commandité par un autre qui lui avait promis de lui remettre de la coke. Ce souvenir a été longtemps une source de crise d’angoisse et de cauchemars. Avec le temps j’ai pris sur moi, mais je ne renierai pas mon homosexualité pour autant, je reste un être humain.
Un autre aspect concerne le courrier. Ce qui est rarement révélé concernant la correspondance entre détenus, même si elle est autorisée, elle est fortement contrôlée et hélas trop souvent lue par les fonctionnaires. Tu ne sais rien y faire, c’est le principe de la censure. Enfin, une correspondance régulière, parfois de quelques années, cela soulève souvent d’autres reproches ; on te dit trop fusionnel, trop obsédé, trop fantasmatique, trop charnel même. Mais quand on ne s’habitue pas à la solitude, quand son amour est ailleurs que pouvons-nous y faire ?
Certes on peut trouver des amis avec qui parler, avec qui se confier, mais c’est plus difficile pour certains détenus.
En prison, il faut apprendre à ne pas juger les autres, sinon tu fais fausse route ! Tu dois apprendre ce que signifie le respect de l’autre et s’il n’est pas là ; l’humain n’est pas là non plus. On pourrait penser qu’il est possible aux détenus gays de prendre contact avec un service d’aide juridique, une association représentative de la communauté LGBTQI, comme Arc-en-ciel à Libramont, Tels Quels ou Ex-Aequo à Bruxelles. Mais il n’en n’est rien. Ces associations n’ont pas de droit d’entrée en prison ; tout comme les autres d’ailleurs car ces associations doivent d’abord être reconnue d’utilité et être autorisée par le Ministère de la Justice. Ainsi, on a refusé à un conseiller juridique d’Arc-en-Ciel de venir me voir en prison.
Tout détenu a la possibilité d’acheter des magazines hétéros adultes même avec DVD. Ces magazines sont vendus en librairie. Mais quand un gay commande un magazine gay ; là ça devient bien plus compliqué. On te répond : « Il n’y en a plus chez le libraire, ou ce n’est pas autorisé ». Il y a toujours de la discrimination quelque part car l’homosexualité dérange.
Pour les couples hétéros, ils ont la possibilité de se retrouver en visite sans surveillance (VHS), si tu es en couple gay on argumente : « vous devez avoir 6 mois de visites à table régulières pour obtenir la VHS ». Mais comment faire si ton partenaire est aussi dans un autre établissement ? Cela ne peut pas se mettre en place. Personnellement nos nombreuses demandes de VHS ont toujours été refusées. Pourtant c’est en principe organisable, mais cela ne se fait pas car trop lourd logistiquement. Et rien ne se concrétise, si bien qu’après un temps, on se décourage et on finit par rompre toute relation. Et il n’y a pas que ça. Notre sexualité reste taboue. C’est aussi craindre des révoltes, des rumeurs à notre égard quand certains détenus ne tolèrent pas avoir des relations amoureuses sur un matelas où précédemment des ébats ont eu lieu entre deux hommes ou deux femmes. Certains pourraient dire qu’il faut désinfecter la chambre ou quelle est devenue impure. C’est choquant, c’est aussi la réalité.
Il n’y a pas de place pour l’amour en prison, la tendresse, l’affection, les retrouvailles. Même les avocats ne trouvent pas de solution. Où sont passés les droits de l’homme, où est mise notre dignité ? Triste Belgique !
Daniel