La rumeur

Je m’appelle Zineb, j’ai 37 ans et je suis née le premier septembre 1985 à Alger. Jusqu’à présent rien de spécial sauf que cette année j’ai fêté mes 37 ans à Berkendael. C’est une prison pour femmes. La question qui revient à mon esprit le plus souvent ces derniers temps : qui je suis ? qui est cet autre qui a voulu me détruire par tous les moyens ? Qui je suis par rapport au fait de l’avoir laisser faire et de lui avoir donné tous les droits ?

J’ai fait deux mois de prison, Madame la juge estimait que j’avais besoin de prendre un peu l’air dans un endroit que je qualifie de miraculeux. C’est mon monde de bisounours et oui c’est une prison mais le miracle de la vie s’opère tous les jours ou presque. Au bout de deux mois les conditions pour que je quitte la prison était d’aller à l’accueil M., c’est un chouette foyer avec un cadre sécurisé où je ne suis pas seule avec moi-même. Je pense que la juge est quelqu’un de très sage à qui je dis merci tous les jours, qui a compris qu’il fallait surtout me protéger de moi-même et de mes démons.

Quels sont mes démons ? Celui qui est le plus visible est le crack. Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, c’est de la cocaïne qui se présente sous forme de poudre et qui est solidifiée via une réaction chimique avec de l’ammoniaque qui est un produit corrosif ou pour ceux qui préfère la méthode douce on peut utiliser du bicarbonate et de l’eau. Pas de l’eau seule, parce que l’eau est le premier ennemi de la cocaïne, mettez de la cocaïne dans de l’eau, elle disparait et ce qui reste ce sont les impuretés.

La veille de ma sortie de Berkendael, mon avocat m’a annoncé que la juge voulait me voir au tribunal au lieu de procéder directement à ma libération sous conditions. Mon avocat m’a aussi informé qu’une place à l’Accueil M. était disponible depuis 48h et je n’étais pas au courant.

Alors moi, toute contente de la bonne nouvelle de ma libération, de pouvoir voire madame la juge et de pouvoir lui dire merci en personne, je questionnai mon avocat et assista à une discussion qui me sembla folle…

Zineb : Maitre est-ce que je peux parler de moi et de mon évolution à Berkendael ? Parler de la découverte de ce trésor enfoui en moi comme dirait Laurent Gounelle, ce MOI ?

Et là l’avocat me répond : « Non » avec un air fatigué et blasé. 

Zineb : « Pourquoi je ne pourrais pas parler de moi à Madame la juge ? »

L’avocat : « Vous devez parler, Madame R., de crack ».

Zineb : « Mais je ne suis pas le crack !! Pourquoi vous dites ça ? »

L’avocat : « Parce que vous vous êtes réduite à ça pendant un an, et puis entre nous la plupart de mes clients accro à cette merde, retombent dedans 9 fois sur 10, je ne me fais plus d’illusion ».

Cette réponse m’est apparu comme un drame ou une gifle qui aurait pu me remettre par terre ou carrément me faire redecendre aux enfers. Cet avocat prodéo, brillant que je surestimais visiblement venait de me dire que pour lui je ne m’en sortirai pas. Alors moi qui voulait plaire à toutes ces personnes qui m’avaient renvoyé une image positive et à qui je voulais plaire encore une fois venait de me laisser tomber.

Alors oui je suis une fille sage qui aime le système de « bons points », je suis une première de classe qui veut rendre fière sa mère adoptive, ma grand-mère paternelle qui m’a élevée et avec qui j‘ai vécu depuis ma naissance jusqu’à mon arrivé à Bruxelles, en août 2000.

Bruxelles est ma ville d’adoption que j’aime et à qui je dis merci à chaque souffle de ma vie.

Alors oui c’était dur d’entendre que quoi que je fasse toutes ces étiquettes ne partiront et seront toujours là : fille qui a voulu la liberté et la débouche au lieu de sa famille, la pute, l’infidèle, la tox qui a abandonné ses enfants et son bébé de quelques jours à l’hôpital Saint-Pierre pour une dose alors que c’est le père de mes enfants qui est venu me chercher pour un tour puis on a fait nuit blanche… 

Toutes ces étiquettes ont été renforcées par des rumeurs qui ont circulées sur moi, par cette Autre à qui je voulais tout donner et pour qui je ne voulais plus vivre quand il m’a abandonné à Berkendael.

Avant la prison, je voulais juste mourir, je voulais tout oublier et j’ai intensifié ma consommation.

Je voulais m’oublier et j’ai perdu la notion des choses, je voulais m’évader de moi-même pour ne pas affronter cette vérité, cette souffrance réelle.

Je suis passé par tous les stades, la peur, la rage la colère, la folie, la schizophrénie, l’autisme et Berkendal m’a permis de remettre de l’ordre dans ce beau désordre qui s’appelle MiMi. Le surnom que l’Autre me donnait.

Est-ce mon éducation religieuse qui m’a maintenu en vie ?

Pourquoi ? Parce que ma grand-mère m’a toujours dit que le créateur était bon et que l’humain cherchait une excuse à sa bêtise. A chaque fois que j’avais l’impressions qu’il y avait un kwak je me remettait en question puisque j’étais le problème et je suis la solution. De plus, le suicide est interdit dans toutes les religions monothéistes. Oui, moi la scientifique avait peur de l’enfer de l’au-delà.

Et j’ai préféré vivre l’enfer des autres ici, l’enfer de Sartres c’est-à-dire le regard de l’autre.

Un jour un monsieur m’a dit : le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions, alors est-ce que l’enfer de l’au-delà existe réellement ou est-ce une mascarade pour tenir les gens avec la peur, le purgatoire, et en faire des bombes humaines ?

Je dis NON à la religion des hommes, au masculin.

Je préfère continuer à croire à Allah que m’a enseigné ma grand-mère une femme du bled du village de Driaat, près de Msila, près de Sétif en Algérie.

Ma grand-mère a sorti sa famille du village et est venue avec ses 3 enfants à la capitale, pour chercher de quoi se nourrir parce que mon grand-père ne donnait pas de nouvelle depuis quelque temps parti en France.

Alors toutes ces personnes que j’ai rencontrées depuis mon arrestation, mon emprisonnement et qui m’ont donné envie de croire encore que l’humain existe, est-ce qu’ils étaient sincères ?

Au final, je suis passé de « pas assez » à « trop » et là ma super référente me dis que le regard de l’autre va toujours me juger « pas assez » ou « trop » et cela de son point de vue à lui.

Et je me suis souvenue d’une phrase philosophique qui disait « tout le monde croit avoir raison de son propre point de vue et l’ensemble a peut-être tort ».

J’ai eu une enfance très heureuse, élevée par ma grand-mère et les vieille dans un quartier populaire d’Alger « Bologhine ». Oui j’ai connu l’amour inconditionnel, la gentillesse, le sourire rien que pour voir l’autre heureux et la bienveillance puis je me suis perdue en voulant plaire aux hommes de ma vie mon père Brahim et le père de mes enfants Bruno.

J’ai perdu le gout de la vie quand c’est deux autres avec le même initial que Berkendael B, m’ont laissé tombé.

Je voulais me perdre dans le noir et je me suis enfoncée dans les ténèbres, sans leur amour ni leur reconnaissance.

L’Autre ne m’a jamais dit je t’aime sincèrement, ni je suis fier de toi ma fille ou je t’aime à la folie MiMi.

Ma vraie dépendance est la dépendance affective. Je suis une fille qui a eu une enfance heureuse grâce à Dieu, élevée par les vieilles du quartier, ma grand-mère et toutes les voisines qui étaient contente d’avoir un bébé mignon pour s’occuper. 

J’ai fait des études pour plaire à mon père, je m’en foutais d’être une femme indépendante, je voulais que ma famille m’accepte puis ils m’ont rejeté pacque ce qu’ils m’ont trouvé trop européanisée.

Je suis une femme ouverte d’esprit qui aime trop les Autres pour accepter de les voir triste ou souffrir.

Je souhaite à personne de tomber aussi bas que moi parce que je sais que certains ne reviendront pas de cet enfer, de ces ténèbres.

J’aime trop la vie pour accepter la fin de notre société, de notre civilisation.

Le monde de la nuit et de la consommation est traitre. Comme dit Slimane dans sa chanson TOI : « on se fait du bien, on se fait du mal ». Le monde de la nuit vous met le feu puis vous abandonne après vous avoir dépouillé de tout, de votre argent, votre fierté, votre dignité et puis votre âme. On devient comme ces zombies qui ne veulent plus réfléchir qui ne veulent plus se réveiller par peur d’affronter la souffrance de toutes ces blessures faites à leurs âmes.

Lisa Bourbeau parle de 5 blessures qui empêchent d’être soi : trahison, rejet, abandon, humiliation et injustice.

Je peux vous dire que j’ai gouté à chacune d’elle plusieurs fois.

Pour moi la rumeur est l’une des pires.

La rumeur, c’est l’injustice parce qu’elle est faite d’une partie de vérité utilisée par l’autre et modifié à son propre intérêt pour briller à vos dépend.

Il vous dit qu’il vous accepte puis pour un regard, un sourire vous êtes prêt à tout, même à vendre votre âme au diable.

J’ai rencontré le père de mes enfants en 2006 et j’ai vu en lui quelqu’un qui voulait s’en sortir, un haut potentiel parce qu’il n’avait connu que la violence dans sa vie. Il est portugais, il a 2 ans de plus que moi et il était ma raison d’être. Il m’a abandonné, le jour de mon anniversaire à Berkendael. Son abandon est le plus beau cadeau qu’il m’ait fait après nos trois enfants. Parce que cela m’a permis et m’a forcée à entamer le plus beau des voyages, le retour vers soi, la découverte de ce moi que je qualifie aujourd’hui de trésor enfui en chacun de nous et dont j’ignorais jusqu’à son existence.

Je suis interdite de le voir, ça fait partie des conditions de ma libération. J’ai l’impression que la vie ou la société ou une force supérieure me veut du bien. Pourquoi ? Mon emprisonnement puis mes conditions de libérations m’ont permis de tenir le cap et de ne pas retomber dans mes vieux démons.

Concernant le crack mes conditions ne sont pas de devoir arrêter le crack mais de devoir travailler ma consommation. Moi j’ai compris cette injonction comme le fait de devoir comprendre ma consommation et ainsi de pouvoir la contrôler. La première question que je me suis posée en arrivant ici est « quelle est la différence entre le contrôle et la maitrise » ?  Le contrôle est une forme de crispation sans compréhension du phénomène. Alors que la maitrise demande d’abord un travail d’acceptation de la chose. Il y a deux catégories de personnes, celles qui acceptent et arrivent à passer à autre chose. Et puis, il y a celle pour qui l’acceptation simple et dur n’est pas suffisante. Ces derniers ont de ce fait d’abord besoin de comprendre les choses avant de pouvoir les accepter, à ce moment seulement ils pourront gérer. Moi je fais partie de cette deuxième catégorie.   

J’ai une âme d’enfant et une curiosité pour tout, je suis une chercheuse et une scientifique.

Le thème de cette année est la rumeur, quel Hasard. Le hasard doit être un vieux monsieur très sage.

J’ai regardé dans le petit robert la définition de la rumeur, de ce que je garde en mémoire, la rumeur est basée sur une part de vérité mais elle est légèrement transformée pour attirer l’attention de l’autre et essayer qu’elle soit propagée à une grande vitesse … n’est-ce pas le pendant de la propagande ? Je me suis demandé si la rumeur était quelques choses de bien ou de mal ? Elle dépend de la personne qui la reçoit. Alors je dirais qu’il y a deux catégories de personnes ; celle qui vont faire l’effort de vérifier cette rumeur, de vérifier son authenticité pour ne pas véhiculer une mauvaise information qui peut être lourdes de conséquences et puis il y a celle qui ne vont pas essayer de comprendre, qui voudront juste véhiculer l’informations, bêtement. Là, la rumeur peut engendrer une injustice. L’injustice quelle quel soit doit toujours être combattue. J’ai décidé de vous raconter mon histoire sous la forme n’ont pas d’une question-réponse mais bien d’une réponse à la rumeur par le biais d’une petite histoire. A chacun de se faire son avis, à chaque lecteur de savoir s’il préfère croire la rumeur ou me laisser le bénéfice du doute… C’était mon projet et aujourd’hui, après 2 mois de Berkendeal et 2 mois de maison d’accueil, j’ai refait toutes mon histoire et j’ai pu mettre des mots sur mes blessures. 

Je suis qui ? 

La rumeur dit que cette anesthésiste est finie ?

Pourtant, je suis là à écrire avec plaisir et à redécouvrir la vie.

La vie est simple mais personne n’a dit qu’elle était facile.

Oui j’ai fait 12 ans d’étude universitaires pour plaire à mon père.

Oui j’ai choisi l’anesthésie puisque je pensais que j’étais nul en communication et en écoute et pourtant je fais de grandes conversations avec ces personnes à qui je souris dans la rue, surtout les personnes âgées et j’arrive à leur redonner le sourire.

Oui, aujourd’hui je vous dis je ne veux plus être enfermée dans une salle d’opération où on ne voit pas le ciel et le jour parfois pdt quelqu’un jours

Je veux vivre, je veux découvrir l’humain dans cette société, je veux voir les gens heureux et souriant

J’aimerai que les gens arrêtent de foncer la tête baissée, qu’ils lèvent la tête pour découvrir ce merveilleux ciel qu’il fasse beau ou gris

J’aimerai que l’humain refasse surfasse

Je suis une femme, je suis médecin spécialiste

Je suis maman de 3 enfants, grâce auquel j’ai eu envie de revenir à la vie 

Je suis un être humain positif, souriant qui arrive à fédérer et motiver les troupes

J’aime les mots et la langue française

Aujourd’hui j’aimerai trouver un sens pour accepter l’inacceptable

La rumeur dit que j’ai abandonné mes enfants pour me droguer ? quand le père de mes enfants a voulu me quitter, j’ai voulu mourir 

C’est ma foi en un créateur bon et la peur de l’enfer qui m’a empêché de me tirer une balle

Alors oui j’ai vécu l’enfer sur terre

Aujourd’hui je me suis libérer de cet Autre et la vie est tellement plus simple et agréable

La rumeur dit que Berkendael est un endroit noir, et pas beau ? pour moi c’est la cour des miracles où chaque jour des femmes comme moi essaie de s’en sortir et de se libérer de la souffrance et de trouver un sens à tout ça

CE monde merveilleux qui m’a donné envie de m’En sortir, j’y ai rencontré mes lucioles ces êtres ordinaires qui vous regardes sans vous juger et qui vous donne envie encore d’y croire

Oui aujourd’hui je suis debout, vivante, souriante et libre grâce à ma foi EN Allah et en l’Humain, mon éducation stricte et surtout grâce à toutes ces personnes à madame la juge, à ces policiers qui sont venu me chercher à 6h du matin chez le père de mes enfants

Et surtout à tous ces travailleurs du système public, à tous ces gens qui m’ont faire redécouvrir l’humain, la bienveillance qui a allumé l’étincelle et avec un peu d’amour comme dit Johnny à allumer le feu de la vie,

Aujourd’hui, oui je ne veux plus travailler entant qu’anesthésiste et j’aimerai pouvoir s’occuper à plein temps de mes enfants et pouvoir m’essayer à l’écriture

Le problème pour trouver du travail est que je suis universitaire surqualifiée pour tout

Alors en attendant de trouver ma voie j’écris des petites histoires pour raconter mon histoire et leurs histoires à mes enfants

Puis je continuer à découvrir le monde et essayer de le comprendre pour pouvoir l’enseigne à mes 3 merveilles Isabel SOFIA, Leonardo NAÏM et mon petit dernier ma renaissance Tomas RIAD

J’étais comme Saint Thomas je ne croyais que ce que je voyais et mes épreuves m’ont rappelé mes cours de dissection en deuxième candi médecine : un cadavre est une carcasse vide, un humain est fait de 3 choses pour moi, un corps embelli par une âme pur et puis vous avez l’esprit qui vient lier le tout,

Merci à Madame la juge et merci à Berkendael, à toutes ces personnes qui y travaillent et tous ces organisme externe tels que Cap-Iti, Rizome, le Relais enfant-parent

Et surtout merci à BXL, cette ville ouverte qui accepte tout le monde 

Qui fait de la différence une richesse 

Victor Hugo disait qu’il y a trois mots qui sont plus forts que tout même plus fort que nos actes, « JE T’AIME » et moi je rajoute un quatrième mot qui MERCI

Chaque mot peut être plus fort que n’importe quel acte et même un sourire à une condition qu’il soit sincère et honnête. Autre exemple Quand vous dites bonjour à quelqu’un vous lui dites je te vois, tu existes

Je suis là et j’existe et j’aimerai continuer simplement à écrire pour l’éveil spirituel

Zineb